Culture cubaine & Salsa

Origine de la Salsa

La musique latine a connu sa première dépression majeure dans les années 1960, remplacée par la Beatlesmania, le twist et la folie rock'n'roll. Et puis, comme l'une de ces grandes surprises que seule la vie sait réserver, l'inspiration d'un seul homme relança le mouvement. (Izzy Sanabría était alors producteur chez Fania Records et faisait également partie du Fania All Stars Band et a lancé l'influent magazine Latin NY).

Les sensations métissées du mambo et du Chachacha ont déclenché un déluge de rythmes cubains fusionnés au jazz. Mais les différences entres ces rythmes étaient trop subtils, indistinguables pour des oreilles non averties. Elles provoquèrent beaucoup de confusion et cela entraîna une rupture du marché. Ce fut par cette disparition qu'lzzy Sanabría prit conscience que tous ces rythmes devaient être rassemblées sous une racine commune, pour éviter la confusion et fabriquer un concept plus facile à vendre. Il décida d'employer un seul terme pour les décrire tous, terme suscitant l'excitation de l'imagination et simplifiant le marketing. Il choisit le mot « salsa ». (interview d'Izzy Sanabria à venir...).

Le mot « salsa » de par la popularité d'Izzy fut testé sur le public. Izzy l'utilisa en interjection pendant ses shows TV, et lui donnait une description dans le latin NY Magazine. Le choix de ce mot était judicieux car, même s'il perdait un peu dans la traduction, c'était le mot qui en musique servait à relancer et à dynamiser les musiciens d'un groupe. Izzv n'avait pas inventé ce mot. Il existe des documents antérieurs prouvant l'usage du mot « salsa » : « Holà, Salsa » de Beny More, « Echala Salsita » de Sexteto Habanera... De nombreux musicologues se référèrent à l'existence d'utilisations antérieures mais aucun ne peut expliquer ce choix, ni définir un autre terme pouvant le remplacer.

Le jazz, un des composants majeurs de la salsa, qui prend ses racines de l'américain Deep South, utilise des mots dérivés ou phrases du monde culinaire, comme « smoking » (fumer), « jamming » (mélanger, jam= marmelade), « now we're cookin' » (maintenant nous cuisinons) crées par les musiciens lors des beuf ou lorsque l'ambiance était au maximum. Dans la salsa, l'usage ne diffère pas. Toutefois les interjections de ce genre ont été utilisées de manière plus structurée.

La musique a quelques propriétés générales : une introduction, une phrase mélodique, une phrase plus rythmique et percussive appelée un « montuno », une reprise de la phrase mélodique, et une conclusion.

Les exclamations sont utilisées pour annoncer des changements, particulièrement dans les phrases Montuno qui sont des sections plus fortes en énergie rythmique. Les interjections les plus communes sont : « Candela » (feu), « salsa » (sauce), « Sabroso » (goûteux), « Azucar » (sucre), le plus récent et célèbre utilisé par Célia Cruz « Salsa » fut choisit par Izzy Sanabría pour rassembler les rythmes, et par déclinaison leurs danses associées. Salsa était, et reste, une expression très énergisante et excitante. Mais la définition continua de changer, elle s'est étendue pour inclure la musique non cubaine et les danses comme la Cumbia et le Merengue. Elle est devenue un symbole d'identité culturelle et de croyance politique. Mais le plus étonnant, c'est la dimension que la salsa prit à travers le monde.

Les coins du monde sont proches et des personnes de différents pays et cultures ont adopté la salsa, la redéfinissant en l'adaptant à leurs besoins. Ce phénomène est appelé « transnationalisation »· De nouvelles définitions émergeant souvent, se joignant aux précédentes, furent absorbées dans ce continuel process, favorisé par le brassage culturel grâce à l'émigration.

Inutile de dire que le concept d'Issy Sanabría fonctionna, et qu'à travers ses efforts, la musique latine vécut une véritable renaissance ; Le Fania All Stars Band fit un tabac au Chertah Club de Manhattan (filmé dans « Nuestra Cosa Latina »). La renaissance devint alors un boom, culminant dans le célèbre concert au Yankee Stadium, avec 20.000 spectateurs en 1973.

Aujourd'hui les projecteurs semblent avoir délaissé Izzy Sanabría au profrit d'artistes plus efficaces, puissants et glamour.

UN PEU D'HISTOIRE

Notre histoire commence pendant la pré-révolution française, sous le règne de Louis XIV. La danse était alors un rouage du contrôle politique. Pour s'élever dans les classes sociales et obtenir les faveurs du roi, les nobles se devaient de connaître les derniers pas crées par le Maître de Danse de la Cour. Ses danses étaient des activités de groupe. De nouveaux pas étaient constamment inventés. Ces pas quittaient la Cour et étaient exportés par les nobles. Le roi lui-même était féru de danse et les joyaux de sa danse étaient le menuet et la contredanse. L'opinion était partagée sur les origines du mot Contredanse. Certains prétendent qu'il s'agit d'une déviation de l'anglais « Country Danse », d'autres pensent que ce mot vient de la façon de danser la contredanse, une rangée d'hommes faisant face à une rangée de femmes, en « Contra Danza ».

Quelques gravures ou dessins de cette période représentent un homme avec une femme à sa droite, son bras droit autour du dos de la femme, tenant la main droite de la femme dans sa main gauche. Cela semble être à l'origine de la position fermée de tous les dérivés de la contredanse, où le bras gauche est meneur et le bras droit est autour de la taille.

De Versailles, la contredanse émigra en Espagne ou elle prit le nom de Contra Danza. La contredanse et la Contra Danza firent leur chemin vers les Caraïbes pendant la colonisation des Amériques par les îles Hispañola et Cuba. Il faut savoir que chaque île était divisée en deux parties. HISPAÑOLA était divisée politiquement entre la Saint Domingue française (Haïti) à l'Ouest et la Santo Dominguo, Espagnole (République Dominicaine) à l'Est. CUBA qui reliait à l'Ouest Hispañola, était divisée géographiquement. L'administration coloniale espagnole était basée à la Havane, à l'Ouest le côté Est de Cuba (l'Oriente) avait des difficultés à être gouverné de par sa géographie marécageuse.

La contredanse arriva donc à Saint Domingue, et la Contra Danza à la Havane. Elles attendirent la prochaine phase d'évolution, le mouvement africain.

Le mandat de la monarchie espagnole reposait sur la religion. Le consentement du Vatican pour la colonisation était basé sur l'humanisation des Amérindiens à travers la foi catholique ! L'Espagne avait également besoin des richesses du Nouveau Monde pour soutenir son économie dans sa guerre contre le duché protestant. Les monarques devaient donc adhérer à cette position pour préserver leur droit de règne. Mais le revenu des colonies déclina. Les indigènes indiens (beaucoup périrent de maladies importées par les colons) moururent d'épuisement. Les espagnols les trouvaient fainéants. De leur côté, les indiens usant de troc ne pouvaient ni comprendre, ni s'adapter à une économie basée sur le travail. Des esclaves africains furent importés pour augmenter les forces de travail et ce n'était pas un problème pour les colons si les indiens étaient disséminés. Il existe une trace du legs indien à la salsa avec peut-être des mots comme « Areito » « Quisqueya » (en référence à Hispañola) et « Borinquen » (en référence à Porto Rico).

Les nations coloniales européennes lancèrent des « centres de chasses aux esclaves » sous la côte Ouest de l'Afrique et une partie de l'Est. Mais le trafic d'esclaves ne se faisant pas uniquement par les hommes blancs ; la chute des royaumes Yoruba démontre également la vente de ses sujets comme esclaves aux tribus rivales. Les Yoruba et les Bantu arrivèrent de cette façon à Hispañola et à Cuba. Les deux royaumes y apportèrent leurs religions, ainsi que leur culture, et leurs instruments.

Pour des raisons politiques, les espagnols devaient prouver leur foi catholique, même aux esclaves. Les croyances religieuses des Yoruba furent lentement supprimées, en mêlant petit à petit leurs dieux Orishas aux Saints Catholiques. Un exemple est le rapprochement de Chargo (dieu du feu, de la luxure et de la guerre) avec Santa Barbara. Les colons amenèrent ainsi les Yoruba à répandre parmi les leurs que Chang était le nom Yoruba pour désigner Santa Barbara. Cette pratique appelée syncrétisme est encore visible dans le Santeria, religion dérivée du Yoruba. Les références syncrétiques abondent en salsa, par exemple dans les chants de « Que viva Chango ».

Les dirigeants économiques espagnols réclamèrent plus de productivité, donc plus d'heures de travail aux champs pour les esclaves, un esclave espagnol avait peu de liberté religieuse et sociale comparé à un esclave français. Une des conséquences fut l'augmentation de la tension sur Hispañola, où les disparités entres les noirs de Saint Domingue et Santo Dominguo stimula une grosse rancœur. De ce fait, les espagnols considéraient les français comme des traîtres vis-à-vis de leur base politique et économique. S'ensuivirent de nombreuses invasions brutales. Les colons français émigrèrent sur le côté Ouest de Cuba introduisant avec eux de nouveaux rythmes. Ils s'installèrent en Sierra Maestra, un endroit montagneux de l'Orienté, entourant Santiago de Cuba. Santiago de Cuba ayant la réputation d'être le berceau de la révolution politique, sociale et culturelle. La première vague d'esclaves arriva fin des années 1700, suite à une série de révoltes sur Hispañola. Ils introduirent la Contra Danza Criola, version créole de la Contredanse comportant des éléments africains dans l'instrumentalisation et l'interprétation. L'un des aspects les plus proéminents fut l'introduction d'une phrase rythmique saccadée de 5 temps appelée « Cinquillo ». Le Cinquillo aurait joué un rôle majeur dans la musique latine à venir.

La seconde vague d'immigrants arriva dans les années 1850 à Saint Domingue en contribuant à la naissance du son Cubain.

La contribution de Saint Domingue / Haïti à la naissance du Son, ne peut être quantifiée justement, mais elle est probablement significative jusqu'au moment où les noirs purent, par plus de libertés contenir leur héritage culturel. C'est plus qu'une simple coïncidence si les deux importants mouvements musicaux émergèrent d'Orienté et d'Hispañola au même moment. Les conditions géographiques de Cuba étaient appropriées à la protection de ces mouvements. L'éloignement de Sierra Maestra par rapport à la Havane, apporta aux noirs plus de libertés à l'Est dans la pratique de leurs coutumes. La tradition vocale et rythmique est centrée sur les pratiques religieuses et sociales des Africains. Un des aspects clé est la notion de coopérative musicale, avec des groupes de personnes dédiées à une activité. Un exemple précis est l e « drumming » (percu) où chaque modèle est identifié à un dieu.

Un percussionniste jouera un rythme spécifique et unique,et plusieurs percussionnistes joueront ensemble pour produire un polyrythme. Chaque partie du polyrythme peut être complexe et les percussionnistes jouant dans un environnement bruyant peuvent facilement s'y perdre. Chacun continue en suivant sa « partition » en sachant grâce à une « clé » comment il se situe par rapport au groupe. Tant que la « clé » est présente, les percussionnistes sont synchronisés et le polyrythme est sensé. Le grand nombre de dieux africains réclame un grand nombre d'instruments, qui peuvent jouer un grand nombre de polyrythmes en variant uniquement la « partition » d'un ou plusieurs musiciens.

Les polyrythmes africains sont un composant clé de la salsa. Les clés communes sont la Clave Son, la Clave Rumba, la Clave Samba et Cua ; elles descendent toutes d'une clé africaine. Le Cinquillo (5 temps) et le Tresillo (3 temps) ne sont pas des claves mais les motifs rythmiques d'une part de la clave. Un exemple de changement polyrythmique en salsa = un chachacha peut être changé en patchanga simplement en alternant les congas de « Tumbao moderne » (rythme moderne) en un Caballo (galop de cheval). La différence est très subtile et explique pourquoi les gens trouvent les rythmes cubains très confus.

Un autre composant vient des cérémonies africaines où les chants étaient menés par un religieux ou un leader social. Connu en musique latine comme « coro-pregon » (appel-réponse), le chanteur meneur appelait les autres chanteurs qui lui répondaient, le tout en alternance. Même les chanteurs non musiciens participaient activement en tapant des pieds, genoux fléchis pour absorber les chocs, le mouvement en résultant était un déhanchement en contrepoids. Ce déhanchement plus ou moins prononcé est pratiqué en salsa.

Note de l'auteur : Tôt dans mes années de danse, Luis, un de mes amis m'a raconté une anecdote poignante. A cette époque, j'avais des problèmes de rythmes à cause de mes pieds trop grands. La salsa m'a été décrite comme étant originellement une danse d'esclave. Ils ne pouvaient pas prendre dans leur réunion des esclaves aux grands pieds car la longueur des chaînes entre leurs pieds les empêchait de s'enfuir. Ils se réunissaient le soir pour danser et rendre les danses intéressantes malgré les chaînes, ils augmentaient la vitesse du déhanchement. J'étais abattu, jusqu'à ce que Luis m'explique qu'ils ne parodiaient pas leur infortune mais qu'ils célébraient un phénomène leur faisant supporter une grande souffrance. Pour un esclave, danser était une lueur dans sa très sombre existence. Je ne connais pas la part de réalité dans cette histoire, j'espère qu'il y en a car je peux encore ressentir le poids de ces mots dans « El Preso »(le prisonnier) et « Rebellion ».

La signification de la musique à Cuba, seconde moitié des années 1800 était différente selon l'endroit. Les musiciens de l'Est étaient itinérants, voyageant de village en village, et avaient rarement un lien pour se produire. Ces troubadours menaient un style de vie incertain et hasardeux, et étaient des hommes. Ils servaient de colporteur de nouvelles et de folklore. Leurs instruments étaient simples et transportables : guitare ; Tres (guitare cubaine à trois paires de cordes) ; Harimbula (trompette piano africaine) ; Botija (tambour céramique dérivé de jarres d'huile d'olive) et des Bongas. Leur musique traditionnelle consistait en une progression rythmique de simples cordes, supportant les improvisations lyriques chantées par un esclave !

Ces figures existent en salsa. La section Montuno qui se situe dans les derniers étages d'un morceau consiste en deux ou quatre cordes répétées selon un modèle appelé une Vanup, par-dessus laquelle sont étalées des improvisations lyriques appelées la « inspiracíon » (l'inspiration). L'habilité du commentaire lyrique improvisé à la musique est appelé Soneo. Les voix prédominantes sont masculines, incluant des cœurs hauts et nasaux, occasionnellement chantés en réponse au meneur. Cette réponse est appelée « Old Mother's voice » (la voix de la vieille mère). Accidentellement, le mot Montuno (montagne), vient du style rythmique Son-Montuno, originaire de la Sierra Maestra.

La musique dans l'ouest était plus européenne, plus tranquille et les arrangements plus élaborés. Les musiciens bénéficiaient d'une protection, les instruments étaient chers et fragiles contrairement aux troubadours (Est) et ressemblaient déjà aux orchestres français. Ce fut cette mémoire orchestrale, les instruments et les musiciens spécialisés qui allégeront l'entrée du jazz dans la musique cubaine.

Mais le plus grand bond dans l'évolution de la musique et de la danse survint à peu près avec l'indépendance coloniale de Cuba en termes culturel et économique. Ce qui était une distinction géographie entre Oriente et Cuba Ouest devint une stratification verticale dans la capitale. La musique européenne commençait à être jouée dans les hautes classe sociales blanches, et la musique d'Oriente dans les bas quartiers noirs. Situés entre les deux, les mulâtres : créoles ou personnes métissées ancestralement; la véritable action commença là.

Les étudiants en musique ethnique des caraïbes ont eu un penchant européen jusque dans l es années 1970, et suggérèrent que c'était l'introduction de rythmes et instruments africains dans les orchestres qui apporta la créolisation.

Le processus de métissage était probablement bidirectionnel mais il y aurait des documents sur l'apport africain. La raison est simple : les groupes avant-gardistes osaient parfois faire figurer un musicien noir qui était arrêté, ce qui généra des articles dans la presse. Telle était la malchance de certains musiciens à Porto Rico dans les années 1850. Le processus de créolisation se fit mais il n'est pas localisé à Cuba. L'utilisation des modèles de Cinquillo africaine, indication de la Créolisation a été prouvée en dehors du bassin Caribéen. Ce qu'on ne peut apprécier est la durée de la créolisation et sa continuité, qui commença avec les interactions entre colons et natifs et qui continue ensuite pendant près de 5 ans.

Le cinquillo caribéen trouva sa voie dans la Danza et la Habanera (cubaine) à travers la contradanza criola au 19 ème siècle. La Habanera fit son chemin en argentine, pour devenir le précurseur du Tango. La Danza évolua en Danzon au même siècle, devenant l'une des deux plus importantes musiques et danses d'influence latine au 20 ème siècle. Rebecca Mauleon décrit la Danzon dans « Salsa Guidebook for piano and ensemble » (1993) et fait allusion à la future signification d'une autre forme : le Son : « le Danzon consiste en une introduction, une répétition de l'introduction, un trio de violons. Les innovations de plusieurs compositeurs ajoutèrent une quatrième section appelée « Nuevo Ritmo » plus tard connu sous le nom de « Mambo ». Cette section reprend des éléments du Son Cubain. Les danses cessèrent d'être des activités de groupes et devinrent des danses en couple. Deux raisons majeures à cela : l'affaiblissement de l'influence espagnole sur ces colonies apportée par l'invasion de l'Espagne, et la rupture des routes maritimes en concurrençant les pouvoirs coloniaux. L'accroissement du sens de l'identité individuelle à travers le nouveau capitalisme et le sentiment de réussite. L'indépendance économique apportera une nouvelle confiance qui réduira les besoins de démonstration d'obéissance à la maison mère.

L'individualisation de la danse pava le chemin pour l'arrivée du mouvement africain dans les dérivés de la contredanse. La créolisation est rapidement acceptée par les communautés noires et métisses mais plus lentement par l'élite de conservateurs. Ces danses créoles furent identifiées à un phénomène de basses classes sociales d'un bout à l'autre de l'Amérique latine : le Son à Cuba, le Merengue et la Bachata en République Dominicaine, le Tango en Argentine, la Bomba et la Plena à Porto Rico.

Fulgencio Batista était un homme politique puissant à Cuba de 1933 à 1959. Ce fut son rapprochement avec deux leaders américains qui changea les intérêts américains dans les états îliens. L'un était Summer Welles, ambassadeur à Cuba et conseiller du président Roosevelt. A travers lui, Cuba devînt un des bénéficiaires de la police de Roosevelt « Good Neighbour » (bon voisin) ouvrant la porte aux gros investisseurs américains. L'autre était Meyer Lansky, une figure clé des syndicats du crime organisé. A travers lui, le monde criminel ouvrit un grand nombre d'hôtels et de casinos à la Havane, le « Latin Las Vegas ».

L'influence américaine et la connexion avec Vegas en particulier apportèrent Ginger Rogers et Franck Sinatra, amenant avec eux le prochain grand mouvement dans la formation de la salsa... le jazz. Le mambo devenait un style reconnu de plein droit, séparé de Danzon dans les années 1940. Une augmentation du tempo, l'adoption des lignes de jazz et le changement autour de l'instrumentation des cuivres nord-américains distinguèrent le Mambo de son prédécesseur. Le mambo s'étendra bientôt de la Havane à Mexico, de New-York à Los Angeles. Le chachacha était également dérivé de la section Nuevo Ritmo de Danzon. Contrairement au Mambo, il était toujours interprété par un groupe de Charanga (flûte et violon) et resta mi-tempo. Le grand changement fut l'ajout du Conga. La musique du chachacha et du Mambo apportèrent l'accent sur le 2 ème temps. C'est particulièrement audible dans les rythmes basiques interprétés par la Conga,dans lesquels un coup produit un « crack " tranchant joué sur le 4 ème temps. Les danses de ces deux rythmes commencent au 2 nd temps à la place du premier. Les deux styles s'étendirent rapidement autour du monde, entament une histoire d'amour avec la danse et la musique latine, et avec la popularité que l'on sait aujourd'hui de la salsa et du Merengue.

Fidel Castro arrive au pouvoir en 1959. Une solide détérioration des relations menèrent les USA à instaurer un embargo le 08 juillet 1963, avec le « Trading with the ennemy Act » (loi sur le commerce avec l'ennemi). Cela eut un effet profond sur la musique latine. Cet embargo ne prévint pas l'exportation de nouveaux rythmes, notamment vers le Congo et Mozambic. Mais Cuba diminuait sa présence dans le théâtre mondial, laissant le reste du monde dans l'ignorance des développements les plus récents de la musique cubaine.

L'article 9c de la constitution de Cuba de 1976 (révisés en 1972) garantit l'accès de chaque personne à l'éducation, aux arts et aux sports. Il existe une fondation nationale des musiciens. On peut supposer que cela fut bénéfique à la musique cubaine grâce au mot du conguero Daniel Ponce (1980) : quand les cubains arrivèrent à NY, ils disaient tous « Hey, c'est de la vieille musique, je m'attendais trouver à New York une scène énorme. Les chants, les compositions, le feeling ne sont pas uniquement dus au hasard ». Trois centres de salsa sortirent de l'ombre : NY, Miami, et Columbia.

Les nuyoricans (immigrés économiques de Porto Rico installés à NY) portèrent le bâton de la salsa pendant les années maigres de la salsa. A l'exception peut-être de Willie Colon, les formes du folklore portoricain comme la Plena et la Bomba furent abandonnées au profit de celles afro-cubaine. En vérité la tendance dominante était la voix cubaine. Les Nuyoricans jouaient donc une musique non issue de leur contexte culturel.

Ils définirent ce qui fut et est le son de NY, cimentant l'influence du jazz et du rythm'blues. La seconde génération de portoricains est bilingue et de nombreuses chansons de Latin Bugalu (musique afro-américaine) s'exportait en Angleterre. La proximité du Barrio Latino avec les voisins noirs continua de promouvoir la salsa.

Les cubains exilés pendant la révolution de 1959 s'installèrent en Floride, à moins de 100 miles de Cuba. Les raisons de leur départ en laissant plus d'un aigri et militant anti-Castro. Beaucoup s'installèrent à Miami, dans un endroit appelé « Little Havana » (La petite Havane). En se promenant le long de son axe principal Eight Street, plus connu sous le nom espagnol « Calle Ocho », vous pouvez entendre des airs de salsa tout autour de vous. Au mois de mars, cet endroit explose véritablement dans un kaléidoscope de musique et danse : l'intemationalement renommé « Calle Ocho Cuban Festival ». La salsa à Miami est politisée. L'élévation de Miami dans la scène salsa ne vient pas d'une partie de l'activisme politique du courant droit, mais pour prendre une telle ampleur du fait que les artistes ayant des liens proches avec le Cuba Castro ne sont pas invités. A Miami, la salsa est symbole du désir d'un Cuba sans Castro.

L'émergence de la prédominance salsa Colombienne eut une histoire d'ombre et de lumière. La taille du pays et sa géographie ont hébergés des esclaves échappés, formant des villes entières. Il est évident que cela a contribué à créer la base d'une musique unique, celle qui existe aujourd'hui. Ce que la Fania fit pour NY, Disco Fuente le fit pour Colombia. De part sa géographie, la salsa était libre de conquérir des villes comme Cali, Medelin, Cartage, et Barranquilla.

Mais le succès de l'histoire est assombri par la drogue. Les cartels utilisèrent le patronage (vieille tradition espagnole) de groupes de salsa pour deux tâches : le blanchiment d'argent, et pour acquérir un semblant de respectabilité sociale. La source de ces contributions aurait été difficile à refuser par tout chanteur ou musicien qui se voyait recevoir des cadeaux coûteux. La salsa fut ainsi amenée dans la scène sociale colombienne.

A QUI APPARTIENT-ELLE ?

Il existe de nombreux sujets qui ont alimenté des débats plus passionnés que les origines de la salsa. Chacun affirme que sa version est la bonne car ils sont passionnés.

Les échanges commerciaux entre européens, africains et indiens ont naturellement crée une présence significative de Créoles au Caraïbes. Ces gens existaient dans une unité culturelle propre, exclus des lois blanches pour avoir un sang 'impur' et s'éloignant des esclaves noirs en raison des conditions abjectes dont souffraient les africains. Lorsque les colonies divergèrent de la « niere Espagne », à travers la créolisation, les métisses représentèrent alors l'idée-type culturel. Mais ceci doit être examiné dans le contexte de cette époque. La féminisation de la littérature et de la musique s'amorce après une domination mâle dans les arts. Aparicio observe les femmes blanches avec la Danza et les mulâtres avec la Plena. L'utilisation du mot « Mulatra » en salsa prouve le rôle de la musique dans l'identité culturelle latine. Elle renforce la dominance masculine en continuant la féminisation, et maintient l'idéal créole.

La salsa symbolise aussi le rêve d'une unité latino-américaine : l'optimisme dans la vision de Simon Bolivar d'une « Gran Columbia », une seule nation de personnes unies ; la réalité souffrant de fragmentation, d'anarchie persistante, de misère économique, d'instabilité politique, et de frustration d'un potentiel inexploité. Ruben Blades fait allusion à ce rêve dans le rapide commentaire de son album live « Live son del solar ». La salsa est un indicateur de ces magnifiques choses dont les latino-américains sont capables. C'est l'identité culturelle du Gran Colombia. Les espagnols européens sont pleins de bonne volonté pour s'approprier la salsa face aux non latins, au travers le fait qu'ils partagent un langage commun. Mais les latino-américains ne considéraient les espagnols comme des leurs, de par leur différence historique. C'est là ou l'identité culturelle se brouille à l'identité nationale.

L'utilisation de la salsa comme symbole d'identité nationale peut être attribuée à 2 facteurs principaux : une porte de la souveraineté nationale à cause de l'intervention US, et la relative inaptitude des troupe US pour danser. Alors que la doctrine de Monroe en 1823 cherchait à limiter l'influence européenne dans les Amériques, le corollaire Roosevelt sur la doctrine (1904) cherchait à justifier l'intervention US hors de l'hémisphère Ouest. Cela engendra un grand nombre d'invasions US hors du bassin caribéin pour protéger ses intérêts politiques et économiques. Les latino-américains adoptèrent leur musique et danse comme une forme de résistance culturelle. Par exemple, l'occupation us en république Dominicaine (1916-1924) généra beaucoup de mépris, causant l'adoption par les Dominicains du Cibaeno, variante du Meringue, comme moyen supplémentaire de défense. Le merengue est peut-être l'exemple le plus extrême de musique et d'identité nationale, du fait des utilisations qui en furent faites. Six ans plus tard, le dictateur dominicain Rafaël Trujillo basa sa campagne présidentielle entièrement sur le merengue et la promut sans cesse, même hors mandat.

« Save Havana for mañana » est un slogan du Miami cubain qui ne peut et ne veut pas revenir au Cuba Révolutionnaire. Ils sont très agressifs sur la protection de « leur » musique, qu'ils perçoivent comme un prémice de la révolution, et le symbôle des bonnes choses d'avant Castro. Pour eux, le Cuba révolutionnaire n'a aucun droit sur la possession de la salsa et ils conservent une position anti-collaboratrice à chaque allusion de légitimité. Par contraste, la salsa, comme l'image puissante du Che Guevara, a été adoptée par le mouvement socialiste à l'étranger. Le Cuba socialiste avait une variété de propriétés pour en faire un rêve marketing : de bons résultats dans les domaines de la santé, de l'éducation et de la culture ; l'oppression par un gouvernement impérialiste étranger ; et la corruption par des groupes militants de droite.

Les origines, dans les classes sociales basses de la salsa et son élévation à la prédominance à travers le remaniement des classes sociales, en font l'outil idéal pour l'idéologie socialiste. Mais nulle part la possession de la salsa est plus polarisée qu'entre Nuyoricans et Cubains. Pour les nuyoricans, la salsa est un terme fabriqué par eux, une musique restée vivante grâce à eux quand Cuba l'a perdu momentanément. Ce fut au travers de leurs efforts : le label Fania et RMM, les stations de radio et les clubs, ainsi que les performances que la salsa continua.

Pour les cubains, le mot salsa est un mot pour déguiser l'origine de la vraie musique cubaine pour ôter leur droit de propriété. Les labels américains enregistraient les chansons de compositeurs cubains sans leur attribuer, utilisant les initiales D.R (Derechos Reservados : Droits réservés). Charley Gerrard dit en 1998 : « l'idée de base était que, suite à l'arrêt des relations entre les USA et Cuba, les artistes recevraient l'argent quand les relations des 2 pays s'arrangeraient. En conséquence, le public n'était pas informé des quantités astronomiques de matériel et moyens engagés par les artistes Fania ».

L'effondrement de RMM cause du non-paiement des royalties cause le doute sur ce fait et laissait entendre une corruption similaire sous le régime baptiste.

Il y a deux définitions intéressantes pour possession :

  • Droit exclusif de possession
  • Possession avec droit de transférer la possession à d'autres.

Les deux concernent la possession et le droit l'accompagnant. S'il y avait eu un mot pour décrire la genèse de la salsa, cela aurait du être « créolisation ». Pas hybridation car c'est un terme stérile, dérivé de connotation raciale, coloré et culturel que les créoles ont. Une fois donnée la diversité des lignées de la salsa, comment peut-on considérer que les créoles appartiennent à un groupe en particulier ? Si l'on inclut son héritage, quel bénéfice possible apporterait son appartenance ?

La trans-nationalisation et l'adaptation locale composent une issue supplémentaire à la salsa. Bientôt la salsa ne sera plus considérée comme la propriété des latino-américains. La salsa définit différentes choses à chaque endroit.
En fin de compte, nous possédons tous la salsa. Plus que de dire en quelle version nous devons croire, nous devrions essayer de comprendre tout ce que la salsa pourrait être.